Monte Carlo 1991, la Ford Sierra s’extrait de la nuit au ralenti, François Delecour en sort en pleurs et lâche ces mots devenus mythiques : « j’ai pas tapé ». Une cohue pas possible se presse autour de cette voiture qui aurait dû gagner le Monte Carlo. À côté du pilote, des yeux perçants : ceux d’Anne Chantal Pauwels ! Fidèle copilote de François Delecour durant près de dix ans. Après avoir discuté avec elle, on se dit qu’elle seule était capable, à l’époque de copiloter François Delecour tant elle est passionnée ! Aujourd’hui elle a couché ses souvenirs et ceux de François dans un livre qui vient de sortir avec le titre « J’ai pas tapé ! »
Rallye – Infos : Bonjour Anne Chantal, tu sors un ouvrage sur ta carrière avec François, qu’est ce qui t’a poussé à l’écrit et revenir sur votre collaboration ?
Anne Chantal Pauwels : Bonjour, on me le réclame depuis de très nombreuses années, franchement je ne sais pas pourquoi ! Il fallait raconter les histoires de nos débuts et revenir sur notre « non » victoire au Monté Carlo. Il y a prescription maintenant, on peut tout dire et revenir de nos débuts jusqu’à 1991. En fait au départ, moi je cherchais les sponsors et lui s’occupait de la conduite, nous sommes du même village Cassel (Nord) on a grandi ensemble avec cette envie de gagner, donc je raconte notre histoire jusqu’à la « non » victoire du Monte Carlo.
Rallye – Infos : Le titre, ce sont les mots qui sont devenus mythiques et ce jour-là on voit François en pleurs avec un chaos pas possible autour de lui, mais toi comment as-tu vécu ce moment alors que tu étais juste à côté ?
Anne Chantal Pauwels : Moi, je suis beaucoup moins expressive que François et quand je pleure j’ai horreur qu’on me voit ! Mais je t’assure que j’étais très déçue, en fait je pense que lui avait la pression du pilotage et il a un peu craqué alors que moi je suis restée concentrée car il fallait ramener la voiture à Monaco et le chronomètre tournait ! Mon premier souci était de prévenir les mécaniciens, car à l’époque nous avions une assistance qui nous suivait pour nous aider à réparer et ramener la voiture à sur le port de Monaco. Je pense qu’à ce moment-là, le professionnalisme a pris le pas sur le ressenti !
Rallye – Infos : Alors vous aviez tapé ou pas ?
Anne Chantal Pauwels : Il n’a pas tapé ! Je le raconte dans le livre, au départ de la dernière spéciale, nous avions 42 secondes d’avance, il restait 22 kilomètres et je dis à François : « on attaque, car c’est quand on se déconcentre qu’on fait des bêtises ». Après sept kilomètres, la voiture s’est mise à louvoyer, on pensait avoir crevé puis ça s’est dégradé, ça s’empirait, donc on s’arrête. Je descends mais je voyais mal car il faisait sombre, il n’y a pas de crevaison. Je remonte et François repart sans que je sois attachée, je lui dis « roule ! roule ! » car au pire on perdait une minute et il y avait la seconde place. Mais la roue devait être détachée car c’est devenu inconduisible. On passe le col, les spectateurs avaient mis de la neige, en fait il y en avait partout et à un moment dans un droite devant des Italiens on part tout droit là on glisse vers le talus et on n’arrive pas à tourner, ça tape légèrement, c’est là qu’on casse le petit antibrouillard ! C’est pas grand chose sauf qu’en passant la marche arrière on arrive pas à repartir, en slicks dans la neige, le temps passe. Les spectateurs arrivent et nous aident à repartir on se range pour laisser passer Bruno Saby. On sort de la spéciale et tout le monde voit que l’on a cassé cet antibrouillard, donc tout le monde pense qu’on a tapé, oui sauf que c’est le résultat de la roue détachée et de notre tout droit après le col.
Rallye – Infos : Au final, que gardes-tu de ce Monte Carlo qui est entré dans la légende ?
Anne Chantal Pauwels : Trente ans après, d’une part tu te rends compte que ce fut l’aboutissement de ma carrière de copilote. Mais trente ans après, c’est aussi le constat que je suis encore passionnée, je suis absolument fan de voiture ! Alors je suis pas trop du style le Ferrari car c’est trop ostentatoire pour moi qui suis discrète, quoique rouler sur circuit à leur volant est intéressant, mais en fait j’adore toutes les voitures. En septembre 2020, j’ai participé comme copilote auTour Auto avec Mélina Priam sur l’OPEL GT engagée par Opel France, sincèrement je me suis régalée alors qu’il n’yavait pas de vitesse. J’ai adoré l’ambiance, il y avait de très belles voitures anciennes avec leurs matériaux désuets, leurs très jolies formes, j’étais plongée dans cet atmosphère des voitures anciennes. Pour en revenir à ta question, en fait ce Monte Carlo reste l’aboutissement de ma carrière mais c’est aussi une « non » victoire, c’est un souvenir très particulier. Je me dis que je suis passionnée de tout ce qui a un moteur en fait !
Rallye – Infos : Tu sembles encore si passionnée, revenir ne te tente-t-il pas ?
Anne Chantal Pauwels : Pas vraiment car je n’ai pas d’intérêt à le faire ! Alors pourquoi ne pas revenir pour rigoler ? Sauf que moi je ne rigole pas quand il y a de la compétition ! Alors si je reviens pour la compétition ce sera avec la meilleure voiture et l’un des dix meilleurs pilotes au monde ou rien !
Rallye – Infos : François Delecour passionne et il ne laisse personne indifférent, toi tu le connais bien que peux-tu nous dire sur lui ?
Anne Chantal Pauwels : J’ai passé une semaine avec eux. On a fait le tri dans les archives car il en a une tonne et croisant nos pistes, on s’est remémoré nos souvenirs et nous nous sommes retrouvés comme deux clones. C’est mon jumeau et j’ai de l’amour pour lui mais un amour comme s’il était mon frère. En fait nous sommes identiques avec la même niaque, le même style de vie, on mange la même chose, on aime la même couleur (bleu marine) et c’est une relation fusionnelle au sens frère/sœur !
Rallye – Infos : Quand on voit l’image de François en pleurs avec un monde pas possible, on a la sensation que cette époque c’était celle du rallye passionné, passionnant et extrême, que penses-tu du rallye actuel ?
Anne Chantal Pauwels : Aujourd’hui c’est peut-être moins passionnant car avant les pilotes et copilotes étaient considérés comme des ultimes aventuriers. A l’époque, on passait trente heures dans la voiture et on dormait dedans car on n’avait pas d’argent pour se payer un hôtel. Comme pour le Monte Carlo, il y avait le parcours de concentration, puis le rallye et au final le classement se faisait sur un total de douze heures ! Je le raconte dans le livre, le rallye était un sport de longue haleine mais c’était moins physique. Aujourd’hui les rallyes sont plus courts et plus formatés, mais les voitures demandent moins d’endurance mais sont à la limite de la vision humaine, en vitesse pure c’est assez fou. Il y trois ou quatre ans j’étais montée dans une WRC, donc avant 2017 et les nouvelles réglementations. En comparaison aujourd’hui les nouvelles WRC sont devenues ultra puissantes, c’est délirant. Je me rends chaque saison sur six à huit rallyes par an en guidant les groupes de Bernard Occelli (European Sport Communication) et j’ai vu les changements dans les rallyes WRC, même si ça reste la discipline phare, depuis presque 20 ans. Aujourd’hui chez les amateurs et dans les rallyes régionaux, les voitures comme les R1 ou R2 font moins rêver le grand public, parfaitement néophyte, même si les pilotesse défoncent au volant de leurs petites autos, c’est moins spectaculaire au bord des routes. Dommage, car je connais le travail incroyable de tous les amateurs : finances, temps, danger, pilotage, copilotage, et aléas mécaniques.
Rallye – Infos : Si tu devais garder un seul souvenir ?
Anne Chantal Pauwels : Évidement, le Monte Carlo car ça a été une vraie cassure puis la sortie au Portugal ! François était coincé dans la voiture, il criait car il était blessé, franchement on aurait pu se faire très mal. Mais si je devais garder un seul souvenir ce serait le pire et quelque part le meilleur avec cette « non » victoire du Monte Carlo.
Rallye – Infos : Si tu devais garder une seule voiture ?
Anne Chantal Pauwels : J’ai adoré la 206 WRC qui était une voiture très performante. Nous sommes partis détendus avec François à Madère en 2003 et j’ai pris beaucoup de plaisir avec cette voiture. Sinon il y a aussi la BMW M3 de 1988, la version E30 : cette voiture était hyper virile à piloter ! En 1988 au rallye du Var dans des conditions très compliquées François m’avait offert une vraie leçon de pilotage avec cette BMW sur les plaques de glace imprévisibles ! Puis il y avait la 205 GTI groupe N : à l’époque c’était délirant ce qu’on faisait avec, quand tu regardes les photos, il y en a pas une en ligne ! Cette voiture était toujours en travers, sur 3 pattes, voire 2, pas comme les voitures d’aujourd’hui !
Rallye – Infos : Un dernier mot, où et comment peut-on se procurer le livre « j’ai pas tapé » qui retrace ta carrière avec François Delecour ?
Anne Chantal Pauwels : Le livre est au prix de 28 euros, livré avec le jeu de l’oie « Rallye de Cassel » qui retrace les quatre pentes de notre village du Mont Cassel ! Les pions sont à découper et la première case de départ est la maison de François, puis on avance en lançant le dé et on doit venir me chercher chez moi. On peut l’acheter sur mon site puis dans les points de vente de l’hebdomadaire « L’Indicateur des Flandres » dans les communes de Flandres et enfin dans la librairie « Traditions en Nord » dans notre village de Cassel…
Rallye – Infos : Un grand merci pour le temps que tu nous as accordé et pour nous avoir replongés dans ces souvenirs qui sont devenu légendaires.
